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avril 2023

La France s'est désindustrialisée, ne la laissons pas se « dé-logisticiser »

Claude Color

OPINION. Désindustrialisation, « dé-logistisation »... Pour Claude Samson, Président d'Afilog, il faut apprendre des erreurs du passé.

Après la désindustrialisation, la « dé-logistisation » ? Au cours des quarante dernières années, nos territoires ont vécu au rythme des annonces d'emplois délocalisés, des usines fermées. Aux grands titres de la presse nationale, a succédé le poison plus lent du chômage et ses effets délétères sur des morceaux de France entiers.

Après avoir tous regardé, avec silence sinon avec complaisance, la désindustrialisation de notre pays, l'accroissement de notre dépendance et de notre vulnérabilité, se dessine désormais une nouvelle crise économique d'envergure. Alors que nous tentons de corriger les erreurs du passé en « réindustrialisant » nos territoires, voilà que des activités de transport, de logistique et de distribution (1,9 million d'emplois en France) ne trouvent plus lieu de cité, et risquent de s'atrophier, voire de se délocaliser. C'est notre économie, nos emplois, nos engagements face au défi climatique qui sont inévitablement fragilisés. La «dé-logistisation » est en marche.

Car, à quoi servent nos entrepôts ?

À irriguer notre économie, telle la sève de l'arbre et constituent l'une des principales réponses aux nouveaux modes de consommation, au renouveau industriel français, à la décarbonation des flux de marchandises ou encore à la souveraineté économique. Tous ces enjeux essentiels passent par le développement de nouveaux entrepôts. D'autant que les acteurs de la logistique font leur « aggiornamento » indispensable pour intégrer désormais le défi climatique dans la conception, la construction et l'exploitation de leur bâtiment.

La profession s'est engagée à atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2040. Tout n'est pas encore parfait, mais la reconversion des friches utilisées en priorité, ou la préservation de la biodiversité sont le quotidien de ces métiers d'une industrie d'une nouvelle ère. Nous le voyons au contact des élus, qui mesurent de mieux en mieux l'apport de la logistique pour leurs territoires en matière d'emplois, d'infrastructures, ou de production d'énergie grâce à l'installation, désormais généralisée, de panneaux photovoltaïques en toiture des entrepôts.

Mais la situation devient critique.

L'absence de disponibilités immobilières et foncières frappe les grands bassins économiques français, aggravant les difficultés des entreprises à se développer, à embaucher et à se moderniser. Comme si cela ne suffisait pas, le déséquilibre croissant entre l'offre et la demande conduit à une augmentation des loyers des entrepôts - près de 8% en un an - fragilisant encore davantage les entreprises de notre pays, singulièrement les TPE et les PME, mais aussi le tissu associatif qui a besoin de capacités de stockage, un comble à l'heure où les pouvoirs publics tentent de favoriser l'implantation d'outils de production dans notre pays. Avec 76 nouveaux sites industriels en 2022, l'objectif de 100 sites de PME industrielles et start-ups par an en 2025 fixé par le président de la République est en voie d'être atteint, d'après les chiffres publiés par Bpifrance en mars.

À l'automne 2021, après la signature en juillet entre l'État et Afilog d'une charte d'engagements réciproques sur la double performance écologique et économique de l'immobilier logistique, les ministres réunis en Comité interministériel de la Logistique avaient demandé aux préfets de réunir des conférences régionales de la logistique. L'objectif : aboutir à une cartographie opérationnelle des implantations logistiques à intégrer dans les documents d'urbanisme et de planification, au niveau régional puis métropolitain, intercommunal et communal ; mais aussi accélérer toutes les procédures et pratiques administratives permettant de créer de l'offre foncière et immobilière.

Ce travail a permis de mettre en lumière la crise silencieuse de la logistique.

La pénurie de surfaces s'accroît dangereusement dans de nombreuses régions sans qu'aucune mesure palliative ou correctrice ne soit prise. Un indicateur nous permet d'objectiver cette situation de pénurie : le taux de vacance. Lorsqu'il est trop faible, l'espace résiduel ne permet pas aux entreprises d'évoluer en fonction de leurs besoins, et c'est toute leur stratégie de développement qui est mise à mal. Une seule région, les Hauts-de-France, est hors du paysage de tension foncière et immobilière. Deux régions sont dans une situation intermédiaire, le Centre-Val de Loire et la Normandie. Toutes les autres sont dans une situation critique avec un taux d'un niveau inférieur à 5 %. Un phénomène qui s'explique par la croissance démographique et les besoins de développement des entreprises, l'augmentation du e-commerce ou encore le vieillissement du parc d'entrepôts. Tant et si bien qu'aujourd'hui les deux tiers des régions de France métropolitaine, soit 8 régions sur 12, sont en forte pénurie si l'on regarde l'indicateur de capacité d'absorption de la demande placée. Or, le manque de disponibilité de foncier au bon endroit oblige les entreprises à trouver des solutions de stockage plus éloignées et conduit à allonger les trajets et la demande de transport... et à augmenter le cout de la logistique et son impact carbone.

Cette restriction des ressources immobilières participe à ralentir la productivité des entreprises et à les détourner des nécessaires efforts de modernisation de leur activité, de leur flotte de véhicules et de leurs outils de production. Et ce, dans un contexte économique qui se durcit fortement et qui fragilise durablement un secteur du transport, de la logistique et de la distribution déjà en tension.

Alors, passé le temps du constat, nous tirons la sonnette d'alarme.

La crise de l'offre à laquelle la logistique est confrontée est une bombe sans retardement. Elle est déjà là. Les entrepôts sont en première ligne des soubresauts économiques, et la demande en espaces logistiques un formidable thermomètre de la santé de notre industrie et de nos commerces, assurant la fonction « support » de milliers d'entreprises. Si aujourd'hui faute d'entrepôts elles peinent à se développer, refusent des contrats, renoncent à des plans de diversification, c'est tout un pan de notre économie qui est en danger. Il y a urgence ! Apprenons des erreurs passées et ne laissons pas la dé-logistisation succéder à des années de désindustrialisation.


Claude Samson
Président d'Afilog